Villon : Daraquy à hauteur d’homme

 

Par Michel Kemper le 17 mars 2018.

 

10 mars 2018, Théâtre Libre à Saint-Etienne,

 

 

 

 La scène s’est muée en cachot. Semi-pénombre. Villon est là, ci-devant, dans l’attente d’être pendu, de danser la gigue à Montfaucon : « J’en ai vu qui appréciaient tellement la vue du haut des grands piliers qu’ils gigotaient longtemps… tell’ment qu’ils étaient contents ! Ah ah ah ! C’est bientôt ton tour mon François ! » Villon a fait appel, sans espoir, et se voit déjà se balancer au gibet. Il lui vient une ballade tout au bout de la langue… « Elle est truffée de mots extirpés de la gangue / De boue mêlée de sang où pourceaux d’Epicure / Où pipeurs et ruffians s’écorchent, butent et s’étranglent. »

 

 

 

Une ballade et des babilles. Villon soliloque avec pour interlocuteur lui-même, son double, sa bonne conscience, le peu qu’il a de morale, la peur qu’il tente de taire. Là, devant nous, dans l’intimité de sa geôle, l’« escholier soiffard, ripailleur, voleur, proxénète et meurtrier », poète aussi, va tour à tour se trouver mille prétextes et excuses et, par le truchement de cet autre lui, s’accuser de crimes et de faiblesses, de vilénies. Braver la mort qui lui est promise et l’instant d’après tenter de croire à la bonne issue de cette procédure de justice, même de justesse.

 

 

 

« Frères humains qui après nous vivez / N’ayez pas vos cœurs durcis à notre égard / Car, si pitié de nous pauvres avez / Dieu en aura plus tôt de vous merci. »

 

 

 

Il prend la prose et rime la minute suivante, il parle, il crie, il colère, il implore… Il chante. Il est le grand poète que l’on sait et ça s’entend, se comprend. Et son double de se lamenter : « Blasphèmes et vilénies ! La corde est sans doute trop douce à ton cou. Tu préfères le bûcher ! »

 

 

 

Pour copie conforme, Bruno Daraquy, si parfait dans ce rôle qu’on se dit que Villon c’est lui, que ça ne peut être que lui. Avec deux musiciens, discrets, sur un coin de scène. Ce soir, pour Daraquy, jouer est une plus grande performance encore, un miracle presque. Tantôt il ne pouvait plus parler. Pas un mot, plus un. Un médecin en urgence, une piqure. Et l’aventure. Va-t-il tenir ? L’auteur, Joblin, et le metteur en scène, Maurice Galland (du Théâtre Libre de Saint-Etienne), les techniciens aussi, tous sont inquiets. La voix qui se fait pénible, les trous, la fièvre sans doute, Daraquy est sans doute comme Villon jadis, dans cette cellule froide et humide que surplombe et plombe l’ombre du gibet. Daraquy joue et joue bien, il chante de cette voix éraillée, douloureuse, qui est la sienne ce soir. Mais mène le récit jusqu’à son terme, jusqu’à cette issue quasi miraculeuse, cette condamnation à mort commuée en bannissement. Après on ne sait pas, on ne sait plus. Villon disparait : on n’en entendra plus jamais parler, même sa mort nous est inconnue. Quant à Bruno Daraquy, malade, épuisé, réfugié dans sa loge de toile, il fuit vite la politesse d’un public qui l’a acclamé, debout et fier d’avoir été le premier à assister à cette pièce.

 

 

 

Il y a six ans, même lieu, l’inspiré Bruno Daraquy avait fait un tour de chauffe, galop d’essai sous la forme d’un tour de chant : Frères humains… 17 chansons autour de François Villon. Un seul et unique article de presse en atteste ; ce fut déjà sur NosEnchanteurs. Puis sortait le livre-disque François Villon, corps à cœur, de Joblin. Six ans après, nous avions le devoir de constater de visu le résultat de ce long travail. C’est épatant. Il vous faut le voir si d’aventure il est programmé près de chez vous. Mais avant, que les programmateurs de théâtre comme de chanson sachent cet excellent travail et qu’ils le programment, l’offrent à leur public. C’est important.

 




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